La quête du nouveau phénomène

Publié le par Sylvain Zimmermann

Aujourd’hui, on ne compte plus les «révélations de l’année», les «nouvelles sensations» pop, rock, électro, les «nouveaux phénomènes», les «nouveaux artistes à découvrir d’urgence». Tout doit être «nouveau». Certains diront que ça a toujours existé, que cela fait partie de la promotion naturelle d’un disque. Et pourtant, cette situation interpelle – du moins je l’espère! C’est comme si un nouvel artiste était excellent par essence, comme s’il avait une aura particulière. Aujourd’hui, il est devenu quasiment interdit d’annoncer qu’un premier album est «moyen», «correct», «plein de promesses». On risque de ce faire taxer de vieux con, de ringard. En société, entre professionnels de la musique, on ne doit parler que de ce qui cartonne, du nouveau truc qui passionne. Tout ça est sans doute lié à la crise du disque? Au moins en partie. Les ventes «physiques» d'albums s’écroulent depuis cinq ans (encore -18 % au premier trimestre 2008), les maisons de disques multiplient les plans sociaux, les petits labels vivotent grâce à quatre cinq succès d’estime. Un premier CD fabriqué à 8 000 exemplaires, c’est énorme. Un disque d’or (dont l’attribution n’est plus fixé à 100 000 albums vendus), c’est le nirvana! Tout cela est pourtant bien dommage. Car crier au génie à longueur d’articles pose quand même un sérieux problème – et je le dis d’autant plus volontiers que je suis moi-même journaliste. À force de toujours vouloir défendre, un artiste attachant, un coup de cœur, on en fait beaucoup trop. On annonce des dizaines et des dizaines de «nouveaux phénomènes» par semaine, on emploie «culte», «tendance» et «sensationnel» pour décrire tout et n’importe quoi. On ne distingue plus rien. Or, il ne peut pas y avoir des centaines de « groupes phénomènes » par an! Un «phénomène» (nous parlons uniquement de musique) est par définition très rare. Sinon plus rien n’est exceptionnel. Tout se vaut.

La machine hype s’emballe
Ce matraquage incessant nuit, ce manque de recul, de réserve, nuit (presque) au plaisir de découvrir. Prenons l’exemple de MGMT (photo), le gros buzz du printemps dernier. Super duo new yorkais. De la pop intelligente, des arrangements savoureux, des beats électro ciselés, un univers ultra coloré, un cocktail super rafraîchissant idéal pour l’été. Et bien, en découvrant le clip psychédélique de Time To Pretend fin 2007, on aurait pu rester un tantinet objectif. On pouvait se dire que c’était très sympa, que les MGMT étaient des mecs plutôt doués. Et bien, non. Tout de suite, on a vu s’abattre un déferlement de critiques dithyrambiques. Pour Technikart: «MGMT insuffle une telle superbe dans leur pop qu’on a l’impression que tout comme maintenant». Rien que ça! Télérama y aller de quatre forte. Mon journal (Têtu) a adoré. Évidemment, je suis content que ça marche pour eux, mais je trouve qu’on fait trop. Idem pour The Dø. Là aussi, on en a fait des tonnes. Et là aussi, il y a du vrai. Le duo franco-finlandais a des qualités indéniables. Il y a de véritables pépites sur le premier opus. Mais j’ai peur qu’avec cette logique, on arrive à l’inverse de ce qu’on escomptait. À trop en faire, on fragilise ceux qu’on défend. La machine hype s’emballe d’autant plus vite. Ce qui avait provoqué tant de louange est sacrifié deux ans plus tard. Regardez Bloc Party. Premier disque particulièrement génial avec des tubes uppercut (Banquet et Helicopter), le deuxième effort studio a débarqué dans les bacs dans l’indifférence la plus totale. Et ce alors que le second CD était très ambitieux, les textes plus fouillés. Même chose pour Clap Your Hands Say Yeah. Un succès des plus éphémères. Les Arctic Monkeys, les Hoosiers est autres jeunes pousses du rock risquent également d’en faire les frais. Car tout doit toujours être «nouveau».

Vers une culture «MacDo»?
Révéler les «petits nouveaux» ou surfer sur la tendance, ça a marché et ça marchera toujours C’est également plus facile. Mais quand il s’agit de musique. Il est également important d’accompagner, ne pas être un seul consommateur branché ou un témoin illuminé. Il faut se retourner vers sa discothèque et regardez un peu. Ces dernières années, tant d’artistes ont été sacrifiés sur l’autel du renouveau et de la branchitude exacerbée. Ceux qui aiment Beth Ditto, MGMT, Midnight Juggernauts, Vampire Weekend devraient penser à leur avenir. Beaucoup d’entre eux méritent des carrières à la Bowie, Talking Heads, Pink Floyd, Daft Punk… Industrie du disque, journalistes, consommateurs, passionnés de musique, tout le monde doit se remettre en question. Pourquoi? Pour que la bonne zic ne se transforme pas en MacDo froid, en produit directement jetable après consommation! Arrêtons de courir un peu. Photo DR


Publié dans Dossiers

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